Déclaration d’indépendance et élection municipale à Erevan

Le 23 août marquait le 33e anniversaire de la Déclaration d’indépendance. C’était également le jour du lancement de la campagne électorale municipale à Erevan. 

La Déclaration a jeté les bases du processus conduisant une nouvelle fois vers l’indépendance de l’Arménie. Quant à la campagne électorale, bien qu’il s’agisse d’élections municipales, celles-ci joueront un rôle décisif dans la refonte du champ politique de l’Arménie. Rappelons que la capitale Erevan, avec ses plus d’un million d’habitants, compte pour plus d’un tiers de la population arménienne. Ces élections auront donc une portée à l’échelle nationale. Elles exprimeront les sentiments politiques profonds de l’électorat populaire. Naturellement, le sort désastreux de l’Artsakh exacerbe les passions et augmente d’autant plus la signification politique de cette élection laquelle sera perçue comme une évaluation directe de la politique du gouvernement de Pachinian à l’égard de la question très sensible de la souveraineté de l’Artsakh. Une question existentielle qui interpelle les Arméniens collectivement : l’Arménie avec ou sans l’Artsakh ?

Et comme si la catastrophe humanitaire en Artsakh ne suffisait pas, la crise politique interne est venue aggraver la situation, surtout après  l’élection du chef de file du parti FRA Dashnagtsoutioun, Davit Ichkhanian,  en tant que président du Parlement d’Artsakh. Rappelons que la FRA ne compte que trois membres sur les trente-trois que compte l’assemblée parlementaire. Privés de majorité, les pouvoirs du président de l’Assemblée nationale risquent d’être d’autant plus limités.

Parallèlement à cette élection incompréhensible en Artsakh, des appels ont été lancés -notamment de la part de l’ancien président de l’Assemblée nationale Artur Tovmassian – exigeant la démission du président Haroutunian. Et l’ancien ministre d’État, homme d’affaires, co-fondateur d’Aurora, d’IdeA, de « Futur arménien », « Nous sommes nos montagnes », Ruben Vardanian, a directement accusé le président d’être un leader incompétent. R. Vardanian a aussi appelé les habitants d’Erevan à voter pour le parti « Abrelou yerguir » de Mane Tandilian. Cette atmosphère instable, cette désunion contribuent encore davantage à la politique déstabilisatrice de la partie azérie. La démission du président créerait, dans les conditions actuelles, un vide du pouvoir qui déstabiliserait le pouvoir légitime des institutions de l’Etat.

Le même Ruben Vardanian a aussi accusé le Premier ministre arménien d’être un « traître », ce qui renforce l’hypothèse selon laquelle il agit sous les directives des autorités russes. Et il n’est pas impossible que lors des prochaines élections, il occupe le poste de chef des partis d’opposition de la RA et bénéficie du patronage des autorités russes.

À la lumière de la crise en Artsakh, la Déclaration de 1990 prend un sens tout différent. Elle avait lancé le processus de l’établissement d’un État indépendant, sur la base de l’accord du 1er décembre 1989 «à-propos de la réunification de la RSS d’Arménie et du Haut-Karabakh» sur la décision conjointe du Conseil suprême de la RSS d’Arménie et du Conseil national du Haut-Karabakh, suivant les principes fondateurs de la République indépendante d’Arménie du 28 mai 1918. Et le Premier ministre Pachinian, dans son allocution d’hommage de cette année, a qualifié le contenu de la Déclaration d’indépendance de facteur entravant l’indépendance de l’Arménie.

Il est vrai qu’en 2023, 33 ans après cette Déclaration historique, l’image des relations Arménie-Artsakh est loin de l’esprit et du contenu de la déclaration de 1990. Durant les années d’indépendance, aucun gouvernement arménien n’a osé reconnaître l’indépendance de l’Artsakh et assurer son union avec l’Arménie. Contrairement à l’Azerbaïdjan, qui a persisté à considérer le Haut-Karabakh comme son territoire indissociable et a poursuivi sa stratégie de reconquête de l’Artsakh par des moyens armés, la fondant sur le principe de l’intégrité territoriale. Et finalement, il a réussi à s’emparer et à imposer ses conditions de paix à l’Arménie et à l’Artsakh avec la guerre qu’il a menée en 2020.

Pourquoi la victoire de la première guerre du Karabakh n’a-t-elle pas été couronnée par un traité de paix ? Pourquoi l’Arménie n’a-t-elle pas pu forcer l’Azerbaïdjan et la communauté internationale à signer un accord de paix ? Pourquoi n’a-t-elle pas continué la guerre jusqu’à ce qu’elle oblige l’Azerbaïdjan à accepter le traité de paix ? Pourquoi s’est-elle satisfaite de la trêve négociée par la Russie ? Ces questions refont surface, elles attendent des réponses convaincantes. Diverses explications sont avancées, mais l’histoire n’a pas encore donné son appréciation définitive. À côté des fautes des hommes d’État, quelles sont les causes objectives de l’échec ?

J. Tch. 

 

Éditorial