Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

L’ombre du 27 Octobre 1999 plane sur Erevan

Dès le début du « Mouvement sacré » de l’opposition conduit par l’archevêque Bakrat Galstanian, nous avons pu constater l’existence permanente d’un double discours mêlant un registre de vocabulaire « chrétien » appelant à la  conversion, à la concorde, à la réconciliation et à l’unité nationale, et un autre haineux, souvent ordurier, peu digne de la part de forces qui se présentent comme des défenseurs de nos « valeurs traditionnelles ». 

Bien plus tard sans doute, lorsque les esprits se seront apaisés, des spécialistes du discours politique s’intéresseront-ils à la rhétorique des acteurs de cette période troublée. Mais pour l’heure, force est de constater qu’elles peuvent aussi comporter une dimension criminelle,  ou au minimum  criminogène,  qui peut gravement menacer de nombreuses vies humaines et déstabiliser comme en 1999 l’État arménien et ses institutions comme l’atteste le texte suivant. 

Intitulé « UN SNIPER POUR NIKOL, balade d’un journaliste », il a été publié le 14 juin dernier par Edik Andreassian, un journaliste du media  « Hraparak » paraissant à Erevan.

Adressé aux membres du parti de Pachinian, il constitue un véritable appel à candidature  pour de nouveaux « romantiques » de la trempe d’un  Naïri Hounanian qui avait participé le 27 octobre 1999 à la tuerie qui décapita au cœur du Parlement d’Erevan l’élite de l’État arménien.

Un quart de siècle après ces événements, ses commanditaires ne sont toujours pas identifiés, mais leurs objectifs et les bénéficiaires objectifs de cette opération sont toujours présents sur, ou à  l’arrière, de la scène politique arménienne, et actifs comme l’atteste ce texte qui ne nécessite, je crois, aucun commentaire. Il témoigne malheureusement de l’état de déliquescence total de la société et de la presse arménienne.

Sahag SUKIASYAN

***

UN SNIPER POUR NIKOL, une balade journalistique¹

L’autre jour, nous discutions de la question du renvoi de Nikol sous la tonnelle² de son immeuble. Il y avait moi, Kourken, Papken, notre voisin Chmavon, et quelques autres qui ne s’étaient jamais impliqués en politique auparavant. 

Kourken et Papken sont d’anciens partisans de Nikol qui souhaitent désormais plus que moi son départ. Je dois admettre que j’étais plutôt connu dans la cour comme un partisan invétéré de Robert et de Serge³ et c’est à moi que l’on reproche aujourd’hui le plus de ne pas avoir pu écarter Nikol. Chmavon est considéré comme une personne plutôt indépendante. Il est donc assez difficile, voire impossible, de l’accuser de quoi que ce soit.

Chmavon n’accorde aucune importance au rôle des partis politiques et est convaincu que les tentatives visant à éliminer politiquement Nikol sont vaines. 

Bref, nous discutions ensemble de la question de virer  Nikol du pouvoir. 

Soudain, Chmavon lança « faisons venir un tireur d’élite d’Ukraine avec son matos et qu’il …. ».

J’adressai à Chmavon un regard pour qu’il ne continue pas. Il se tut, confus. 

Puis, tous ceux qui ne s’étaient jamais impliqués dans la politique de leur vie commencèrent à dirent  « Chmavon a raison ».

Kourken et Papken bondirent alors de leur chaise:  « Comment ça, il a raison ? Mais c’est du terrorisme !  Est-ce digne de nous ? »

J’intervenais alors pour tenter de dissiper l’effet terrible produit par cette déclaration : « Bien évidemment que cela n’est pas digne de nous … Mais Chmavon ne voulait pas dire faisons venir un sniper dans ce sens ».

Les « neutres » objectèrent alors « ça, c’est tout- à-fait vous, les partisans de Robert et de Serge. Dès qu’il s’agit de faire un pas décisif, vous vous mettez à philosopher. L’homme a clairement dit : invitons un tireur d’élite d’Ukraine pour tirer sur Nikol ».

– Non, Chmavon n’a pas dit une telle chose, il a juste dit: « invitons un tireur d’élite d’Ukraine avec son matos ».

– Ce n’est pas la même chose ? Alors, dans ce cas, pourquoi inviterions-nous un tireur d’élite.

– Calmez-vous les gars, le tireur d’élite est-il juste là pour tirer ? J’ai un ami tireur d’élite. Nous nous sommes rencontrés pendant la « Guerre des Quatre Jours » [Avril 2016].  Il pouvait préparer de fantastiques barbecues à partir de viande de sanglier qu’on ne distinguerait pas de celle du cochon d’Idjevan 4.

– Ouais… Et alors ?

Les neutres, imaginant probablement que je cherchais à les égarer, se tournèrent vers Chmavon en lui disant : « Chmavon, dis-nous. Si nous invitons un tireur d’élite d’Ukraine avec sa panoplie, que fera-t-il ? ».

Chmavon rétorqua : « Frérots, vous ne m’écoutez pas jusqu’au bout et  vous en tirez de mauvaises conclusions ».

Kourken demanda alors :  « Mais pourquoi le faire venir d’Ukraine ? ».

Papken rebondit sur la question :  « Oui, une fois de plus, pourquoi forcément d’Ukraine ? N’y a-t-il pas de tireurs d’élite  en Arménie ?

Kourken et Papken, «  c’est bon, c’est bon … nous pensons la même chose. Chmavon n’a pas dit ça. Il a dit autre chose. N’est-ce pas Chmavon ?

Chmavon en hochant de la tête : « Supposons que nous invitions un sniper d’Ukraine. Et alors ? »

Babken ne se calmait toujours pas :« Frérot, mais pourquoi spécialement d’Ukraine ? »

Chmavon finit par parler : « Que dire de plus, frérot ? Mon idée était de chopper Nikol et de le mettre en présence du tireur d’élite ».

– Et  ?

Chmavon : « qu’on le livre au tireur d’élite ».

Bien, livrons-le, mais pourquoi un tireur d’élite ukrainien aurait-il besoin de Nikol ?

Chmavon demeurait silencieux. Nous attendions tous d’entendre sa réponse à cette si difficile question. Il sourit à nouveau d’un large sourire.

– Oui, mon pote, je le dis-moi aussi, amenons un tireur d’élite d’Ukraine. C’est tout.

 

Depuis la tonnelle de la cour d’Edik Andreassian, 

tout spécialement à l’attention des membres du Parti Contrat civique.

Edik ANDRESSIAN

https://hraparak.am/post/f6bd30ab39ae6073dc5200ff84b9aa87

 

_______

(1) Le lecteur constatera qu’à moins de verser dans un cynisme absolu, il est difficile d’entrevoir dans ce texte une « balade », même journalistique. A moins naturellement que l’éthique journalistique en Arménie soit très différente de celle qui a cours dans le reste du monde.

(2) En bon héritier de la « culture soviétique », l’auteur de l’article utilise le mot russe « беседка » [Besedka] qui désigne les tonnelles qui se trouvent dans les cours des immeubles arméniens et sous lesquelles les habitants se retrouvent pour discuter entre voisins.

(3) Andreassian utilise le terme « ռոբասերժական » [Roboserjagan ], un adjectif formé à partir de la première syllabe du prénom de Robert Kotcharian et du prénom de Serj Sarkissian.

(4) Il s’agit évidemment de N. Pachinian, originaire d’Idjévan.

Éditorial