Toutes les catastrophes sont des opportunités pour réfléchir, faire le point, provoquer éventuellement un sursaut. Celles qui ont frappé le peuple arménien par l’attaque de l’Artsakh en 2020, l’agression de l’Arménie en 2022 et le blocus de la dernière portion libre de l’Artsakh de décembre 2022 à septembre 2023, jusqu’à son occupation, appartiennent à cette catégorie.
Tous ces désastres ont produit sur le peuple arménien une sidération. Le Génocide d’il y a 108 ans n’a pas seulement causé un choc émotionnel sur les descendants des survivants, il est également de nature transgénérationnelle dans la mesure où il a contribué à transmettre des habitudes et en particulier une posture qui se nomme l’attentisme. Un secours providentiel a été attendu du nord, de l’ouest ou d’ailleurs, aussi bien au moment des massacres de 1895, de ceux de 1909 ou de ceux de 1915, en vain.
On dit que l’Histoire ne se répète pas. Pour les Arméniens – est-ce l’exception qui confirme la règle – elle se répète souvent, trop souvent. L’histoire récente du peuple arménien, disons depuis 1921, est l’histoire d’une longue dépendance. Une dépendance qui ne s’est pas terminée en 1991, malgré les annonces claironnantes d’indépendance et qui a été couronnée récemment par un abandon magistral de sa tutelle russe. Que valent 120.000 Arméniens et quelques milliers de km2 en comparaison d’un accord de la Russie avec l’Azerbaïdjan pour écouler le gaz et le pétrole russes. En 1921, Staline en avait distribué bien plus à la Géorgie, à la Turquie et à l’Azerbaïdjan.
Le peuple d’Arménie est désemparé, accablé, désespéré, il a le moral à zéro. La diaspora est abasourdie, impuissante, sans ressort, minée par l’indifférence ambiante. Le peuple de l’Artsakh est, quant à lui, sinistré et candidat à l’émigration. Nous avons cru naïvement dans les autres, Russie, USA, Europe, Onu, sauf en nous-mêmes. Il y a plus de cent ans, les fédaïs par clairvoyance avait choisi la lutte, le recours à l’auto-défense. On les avait plaints, moqués, rejetés, parfois dénoncés. Ils avaient pourtant vu juste sur ce qui allait arriver.
Nous avons manqué et manquons encore de lucidité. Depuis plus de 100 ans, nous sommes encore et toujours en danger de disparition physique en Arménie et en danger d’assimilation en diaspora. Nous péchons également par manque de réactivité : nous sommes incapables d’indignation. Comme la majorité des Arméniens d’avant 1915, nous subissons. Une portion de notre peuple est cernée et condamnée à la famine, nous tergiversons au lieu de réagir. Au bout de 6 mois, nous décidons de manifester à Bruxelles mais dans 3 mois seulement. Et lorsque nous manifestons enfin le 1er oct., l’affaire est bouclée, l’Artsakh n’existe plus depuis 10 jours déjà.
Comme nos parents et nos grands-parents, nous attendons, nous ne voulons pas nous faire remarquer, nous pratiquons à haute dose, la retenue, l’effacement, l’auto-censure jusqu’à être effacés nous-mêmes et rayés de la carte. Sortons de notre léthargie atavique. Que ceux qui le peuvent deviennent des volontaires pour combattre pour l’Arménie. Tous les autres doivent financer la fourniture en armes de l’Arménie pour qu’elle soit en mesure de se défendre. Croyons en nous, aidons-nous et le Ciel nous aidera peut-être ensuite.
Peuple arménien d’Arménie et de diaspora, lutte, résiste, milite, manifeste, hurle, réplique vite et fort pour que tu existes.
Maurice DOLMADJIAN
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