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OPINION – Pourquoi ce silence de Stepanakert ?

Par Vahram ATANESSIAN,

politologue, ancien député de l’Assemblée nationale d’Artsakh

 

Le ministère des Affaires étrangères de l’Azerbaïdjan a officiellement qualifié le nettoyage ethnique effectué en Artsakh au cours de la dernière semaine de septembre de « départ volontaire de la population arménienne du Karabakh vers l’Arménie ».

À Bakou, cette version officielle est diffusée auprès de la presse, aux hommes politiques, à la communauté des experts, aux personnalités étrangères que l’on réussit à circonvenir lors de visites organisées. Le précédent de l’internationalisation du « génocide de Khodjaly » par l’Azerbaïdjan en témoigne : ce mensonge répété à maintes reprises a pu finir par sembler plausible à certains. Du moins, l’Azerbaïdjan a-t-il pu l’utiliser au plan international comme un contre-argument à opposer à l’Arménie.

Les prétextes à une éventuelle escalade future sont clairs : Le Parlement européen et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ont adopté des résolutions qui reflètent pour la plupart la réalité et présentent des analyses et des recommandations ciblant Bakou. Bien évidemment, elles n’ont pas de caractère juridiquement contraignant, mais sur le plan politique et médiatique, elles font partie de notre « boîte à outils diplomatique ».

Ce n’est donc pas un hasard si de la « ligne politique » adoptée par le gouvernement officiel d’Erevan, à savoir les interpellations au plan international de l’Arménie sur le nettoyage ethnique en Artsakh et de la préservation du patrimoine historique et culturel, est considérée par Bakou comme une trahison, un « refus des négociations » et l’affirmation de « revendications de l’Arménie à l’égard de l’Azerbaïdjan ».

Un mois et demi se sont écoulés depuis le nettoyage ethnique en Artsakh, mais à ce jour, ni le Président Chahramanian, ni l’Assemblée nationale – officiellement toujours en place – pas plus que les forces politiques parlementaires et extraparlementaires, ni les nombreuses organisations publiques, ni les intellectuels, n’ont procédé à une analyse politique des événements. Au lieu de cela, c’est la question du maintien des institutions étatiques de l’Artsakh qui a été mise à l’ordre du jour. Une question à laquelle l’opposition arménienne s’est également ralliée. Pour autant qu’on puisse en juger, celle-ci n’a pas non plus à ce jour évalué politiquement le nettoyage ethnique en Artsakh. Pourtant, l’Artsakh a été soumis à une attaque terroriste le 19 septembre. Avant cela, il avait été soumis à un blocus pendant neuf mois. De juin jusqu’à l’exode forcé de sa population, il avait été complètement assiégé.

La démission d’Araïk Haroutunian et l’élection d’un nouveau Président, et avant cela, le changement du Président de l’Assemblée nationale, avaient été décidés à Stepanakert. Le 20 septembre, le député de l’Assemblée nationale d’Artsakh Davit Melkoumian avait rencontré à Evlakh le représentant mandaté par le Président de l’Azerbaïdjan. De quoi y a-t-on parlé ? Dans quelles circonstances la population civile a-t-elle pu d’abord se réfugier dans la zone de déploiement des troupes russes de maintien de la paix, parallèlement à l’évacuation des forces armées arméniennes de défense de leurs positions – voir un peu avant – avant d’en être expulsée un jour plus tard?

La version azerbaïdjanaise selon laquelle  « La population arménienne du Karabakh est partie volontairement pour l’Arménie » peut, et doit, impérativement être contrebalancée  par une déclaration officielle des autorités de l’Artsakh.

L’Arménie maintient cette question à l’ordre du jour des instances internationales avec tous les moyens dont elle dispose, mais regardons la situation du point de vue de l’étranger, en toute objectivité. Si Stepanakert ne se joint pas aux efforts d’Erevan – le silence qui perdure depuis plus d’un mois en est la preuve – alors pourquoi les partenaires de l’Arménie, les structures internationales, les organisations de défense des Droits de l’homme et les organisations humanitaires devraient-ils provoquer des tensions dans leurs relations avec l’Azerbaïdjan ? Et, pour être honnête, pourquoi Bakou ne devrait-il pas utiliser cet argument faisant référence à la communauté internationale selon laquelle « les gens sont partis volontairement pour leur patrie historique », et « puisqu’ils ne formulent eux-mêmes aucune revendication, que nous veut l’Arménie ? ».

C’est clair ? Ça ne l’est absolument pas. C’est d’ailleurs sur cette thèse que repose le discours azerbaïdjanais. A ce stade, le silence des représentants politiques, publics et intellectuels de Stepanakert, de l’Artsakh et de sa population déplacée, volontairement ou involontairement, contribue surtout à ce qu’Ilham Aliev légitime le concept de politique internationale de « restauration de la souveraineté territoriale de l’Azerbaïdjan selon la Charte des Nations Unies » dans l’ensemble du pays.

Pourquoi les autorités d’Artsakh se taisent-elles ? Ou plutôt, pourquoi ne s’expriment-elles pas ?

1 In.am / Erevan le 11 novembre 2023

Traduction : Sahak Sukiasyan

Éditorial