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ANALYSE – Les médias internationaux relèguent au second plan la catastrophe subie par le Haut-Karabakh

Par Armand M.

Le peuple arménien dans son ensemble vient de subir coup sur coup une véritable catastrophe avec l’occupation du Haut-Karabakh. Il en avait connu en 1921 avec la perte de Kars, puis du Nakhitchevan après la soviétisation de l’Arménie, mais il y eut le réconfort de la création de la République arménienne de 1918. 

Depuis l’automne 2020, une série de malheurs frappe les Arméniens et on sait qui en sont les responsables et surtout quelles en sont les raisons : l’incompétence et la vanité  de la classe dirigeante formée à l’école soviétique, parfois plus pro-Kremlin que le maître des lieux,  corrompue et dépourvue de capacité de penser rationnellement l’Etat moderne. Cette classe politique et son environnement intellectuel avaient créé un mini système à la soviétique au niveau de la République d’Arménie et de « son annexe », le Haut-Karabakh.

La diaspora, pour ce qui la concerne, enthousiasmée et retenue aussi par la politique anti-diaspora menée par Levon Ter Petrossian à l’époque, a été le témoin  silencieux, donc complice en quelque sorte d’une dégradation catastrophique prévisible des institutions d’État, sans réclamer véritablement sa part dans la gestion du nouvel Etat. Son implication dans le fonctionnement de l’Etat aurait pu jouer comme garde-fou.

Et, pendant que ces derniers jours, le ciel d’Erevan est rempli de montgolfières de toutes les couleurs pour le grand bien des touristes et ceux qui se donnent à des réjouissances, Ilham Aliev hisse le drapeau de l’Azerbaïdjan sur la place principale de Stepanakert, le 15 octobre (voir NH Hebdo
N° 378),
après l’avoir dressé  la veille un autre drapeau azéri face au lac de Sarsang près de Martakert. Cette catastrophe, lourde de conséquence, marquera pour longtemps le peuple arménien dans son ensemble. Elle est pour les Arméniens du Haut-Karabakh ce que al-nakba (désastre en arabe) est pour le peuple palestinien.

>>> La volatilité des médias

Les médias internationaux commençaient à faire écho au départ forcé de tout un peuple de son pays ancestral et des voix s’élevaient dans les institutions européennes pour condamner les forfaits d’Ilham Aliev épaulés par R.-T. Erdogan et V. Poutine, qu’éclatent les tristes événements du Gaza à l’initiative du Hamas, mouvement extrémiste qualifié de terroriste par l’Occident. Comme l’avait prévu Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS,
« bon nombre de pays occidentaux (…) (passent) rapidement à autre
chose », d’autant plus que le choc du 7 octobre a surpris beaucoup de monde et les masses médias internationaux sont très intéressés par tout ce qui touche l’Etat hébreu.

Les commentaires de toutes sortes abondent et forcent de tourner le regard vers l’Iran, ce qui arrange, semble-t-il, le gouvernement Netanyahou. Téhéran exprime sa solidarité avec la cause palestinienne, mais réfute l’accusation visant son implication dans la préparation de l’attaque  du Hamas contre I’Etat d’Israël. Tour à tour, on énumère les pays qui aident des organisations palestiniennes, le Qatar, l’Iran, … Les Etats-Unis et la France déclarent qu’ils ne sont pas en possession d’informations affirmant l’implication iranienne. … , mais personne ne dit mot de l’aide de la Turquie.

>>> Cui bono *  

Il faut rappeler que le fer de lance de l’attaque du Hamas a été la brigade des « forces spéciales » de cette organisation ; une formation de 300 à 400 militants très professionnalisés, rompus aux techniques d’actions guerrières.  Andreas Ghoukassian, homme politique et commentateur, estime que pendant longtemps les services turcs ont été mêlés à la formation de ces « forces spéciales ». 

De là, tentons des supputations pour répondre à la question de savoir qui a intérêt à l’embrasement du Moyen-orient et pour faire quoi. L’attention des masses médias tournée vers la guerre Israël-Hamas, l’opération d’épuration ethnique au Haut-Karabakh qu’a causée l’attaque éclair azérie sans doute bien connue  de l’état-major turc et du Kremlin, passe à la trappe. La mobilisation de l’aide humanitaire occidentale calme également les ardeurs de contestation arménienne. Par ailleurs, M. Ghoukassian pense que la Turquie était mécontente de l’agrément interétatique signé par certains pays du Moyen-orient (Egypte, Iran, Arabie saoudite, Chypre, Israël) avec l’Inde et et la Grèce  sur les transports internationaux qui contourne la Turquie. L’attaque du Hamas et l’engagement de la Tsahal au Gaza risque fort de gêner l’application de cet accord interétatique et aussi  la mise en oeuvre des accords d’Abrahams (Emirats arabes unis, Bahrein et Israël) auxquels l’Arabie saoudite était sensé rejoindre. Recep Tayyip Erdogan n’a-t-il pas dit récemment: « Jerusalem est notre ville »?

>>> Le risque d’attaque à ne pas écarter

Sans vouloir jouer aux apprentis sorciers ou annoncer des malheurs comme un oiseau de mauvais augure, il faut rester vigilant sur le risque d’un déclenchement des opérations militaires rapides par l’Azerbaidjan, à l’instigation de la Russie et de la Turquie, même si Ilham Aliev peut craindre des sanctions.  A cet égard, Aram Sarkissian, chef du parti “La République” et frère de Vazguen Sarkissian assassiné  en octobre 1997 au Parlement d’Erevan, a exprimé ses craintes d’un possible transfert du conflit de la zone moyen-orientale vers le Sud-Caucase, d’autant plus que la conquête du réduit artsakhiote le 19 septembre n’a pas provoqué une réaction significative de l’Occident, à part la mise à disposition d’une aide d’urgence. Les révélations de la revue Politico évoquant les supposés propos du secrétaire d’Etat Blinken sur l’éventualité d’un recours azéri à la force en direction du sud-arménien et les demi- démentis officiels ne sont pas de nature à apaiser les craintes.

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* Cui bono, expression latine : à qui profite-t-il?