ARMÉNIE – Interview de l’Ambassadeur: l’Arménie et la France établissent une coopération à long terme

EREVAN, 6 MARS, ARMENPRESS: La France exprime sa préoccupation face aux violations par l’Azerbaïdjan de l’intégrité territoriale de l’Arménie. La coopération de défense de la France avec l’Arménie est exclusivement axée sur la défense de l’Arménie. Les deux pays établissent une coopération à long terme dans le domaine de la défense.

Armenpress a interviewé l’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de France en Arménie, Olivier Decottignies, sur les relations entre l’Arménie et la France, la coopération en matière de défense, les prochaines visites de la France et d’autres sujets.

L’entretien est présenté ci-dessous:

– Monsieur l’Ambassadeur, les relations entre l’Arménie et la France ont acquis une nouvelle qualité. L’année dernière, les deux pays ont signé des documents sur la coopération en matière de défense. Pour la première fois dans l’histoire, le ministre français de la défense s’est rendu en Arménie. Qu’est-ce que cela signifie ? Comment évaluez-vous cette visite ? Est-ce que cette coopération sera à long terme, et va-t-elle s’approfondir  ?

En fait, il ne s’agit pas seulement d’une coopération en matière de défense. Au cours des deux ou trois dernières semaines, les ministres des Affaires étrangères des deux pays se sont rencontrés à Munich. Le Premier ministre arménien, M. Pashinyan, était à Paris et a assisté à la cérémonie de panthéonisation de Missak Manouchian, un célèbre combattant de la résistance d’origine arménienne.

Il a également rencontré le Président et le Premier ministre. Et, bien sûr, la visite historique du ministre des forces armées françaises en Arménie était la première visite d’un ministre des Forces armées françaises et d’un ministre d’un pays membre de l’OTAN. Nous entretenons des relations diplomatiques avec l’Arménie depuis 32 ans. Les relations diplomatiques avec l’Arménie indépendante ont été établies le 24 février 1992, mais elles n’ont jamais été aussi intenses et confiantes.

Oui, nous construisons une coopération à long terme, y compris dans le domaine de la défense. Il ne s’agit pas seulement d’achats de matériel militaire, qui sont bien sûr importants, mais aussi de formation, y compris la formation d’officiers de haut rang arméniens. Il s’agit de faire des recommandations.

Lorsqu’il existe un accord entre deux académies militaires de deux pays, comme celui qui a été signé lors de la visite du ministre des Forces armées françaises, il est évident que l’on construit pour le long terme.

– Monsieur l’Ambassadeur, va-t-il s’étendre ?

Nous sommes à l’écoute des besoins de nos amis Arméniens.

– L’Azerbaïdjan achète activement des armes à la Turquie, à Israël et à d’autres pays, tandis que le président azerbaïdjanais accuse la France d’armer l’Arménie et de contribuer à l’escalade dans la région du Caucase du Sud. Certains cycles expriment également l’opinion que l’Union européenne représentée par la France veut affaiblir l’influence de la Russie dans le Caucase du Sud. Comment réagissez-vous à cela ? Quel intérêt la France a-t-elle à coopérer avec l’Arménie en matière de défense ?

Contrairement à certains cycles auxquels vous faites référence, nous ne pensons pas en termes de sphères d’influence, nous pensons en termes de droits de chaque nation à défendre sa souveraineté et son intégrité territoriale. Et ce n’est pas seulement une préoccupation française. Ces dernières années, les pays voisins de l’Arménie, comme l’Iran, ont souvent exprimé leur inquiétude quant à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Arménie.

Nous sommes en désaccord avec l’Iran sur de nombreux points, mais nous sommes d’accord sur celui-ci. Et je pense que tous les États membres des Nations unies devraient être d’accord sur ce point car, en vertu de la Charte des Nations unies, tous les États membres des Nations unies reconnaissent et doivent soutenir l’intégrité et la souveraineté des autres États membres. Il s’agit d’une obligation générale.

En ce qui concerne les préoccupations exprimées par l’Azerbaïdjan, ils peuvent être sûrs que le type de coopération et l’équipement que nous livrons à l’Arménie visent à défendre le pays; ils sont purement défensifs. Permettez-moi de vous donner un bon exemple: lorsque nous parlons de défense aérienne, si vous ne pénétrez pas dans l’espace aérien de l’Arménie, vous ne serez jamais confronté à la défense aérienne de l’Arménie ; il s’agit d’une capacité défensive.

Peut-on dire que la coopération en matière de défense concerne la souveraineté de l’Arménie ?

Il s’agit de la souveraineté de l’Arménie et de la protection de son territoire et de son peuple. Il a été clairement établi dès le début que tout ce que nous livrons – armes, équipement, formation – est conforme à cet objectif.

Le Premier ministre arménien a récemment annoncé que l’Azerbaïdjan se préparait à une nouvelle guerre contre l’Arménie. Des négociations et des réunions ont eu lieu avec la participation de la France. Quel rôle la France peut-elle jouer pour empêcher cette nouvelle guerre ?

Il y a des déclarations inquiétantes venant de Bakou. La France a joué un rôle important en aidant à atteindre certains éléments clés dans les négociations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, en particulier ce qui a été convenu entre les deux parties à Prague en octobre 2022, la reconnaissance mutuelle de l’intégrité territoriale et la déclaration d’Alma-Ata comme base pour traiter les questions frontalières.

Telle est déjà notre contribution. Nous soutenons à présent tous les efforts déployés sous l’égide de l’Union européenne et des États-Unis pour parvenir à un accord de paix durable, stable et juste. Telle est notre position, et tout ce qui va dans ce sens aura notre soutien.

Monsieur l’Ambassadeur, l’Arménie a toujours déclaré qu’elle était prête et intéressée par la paix avec l’Azerbaïdjan, mais compte tenu de la façon dont Aliyev a rompu les accords, il a toujours été dit qu’une garantie internationale était nécessaire pour la mise en œuvre de l’accord de paix. Selon vous, qui et quoi peut être cette garantie ? Quel rôle l’UE, et en particulier la France, peuvent-elles jouer à cet égard ?

Il faut être deux pour danser le tango. Tout d’abord, il faut que les deux parties veulent réellement parvenir à un accord. Et bien sûr, au cours des 30 dernières années, nous avons acquis une certaine confiance dans le fait que le soutien et les garanties d’une tierce partie sont nécessaires.

Selon nous, les médiations américaines et européennes sont les garanties les plus fiables. Et nous avons vu, lors du conflit du Haut-Karabakh, que le système de garantie mis en place en 2020 n’a pas fonctionné. Nous devons aussi en tirer les conclusions.

– Monsieur l’Ambassadeur, comment imaginez-vous la coopération future entre l’Arménie et la France, et surtout dans quels domaines voyez-vous un potentiel d’approfondissement de la coopération, en particulier la coopération économique ?

– La coopération que nous avons avec l’Arménie ne se limite certainement pas aux questions militaires, c’est la dernière nouveauté de cette coopération. De nombreux acteurs sont impliqués dans cette collaboration: le Gouvernement français, les agences gouvernementales françaises, les entreprises françaises, les organisations non gouvernementales françaises et les organisations de la diaspora en France. Tous tentent de prendre en compte la situation stratégique actuelle de l’Arménie.

Le message que je leur adresse, et je les rencontre régulièrement, est de se concentrer sur les secteurs et les zones les plus stratégiques de l’Arménie, alors qu’ils font l’objet de la plus grande menace. Si vous avez une approche stratégique, il n’y a pas de petit projet ou de petite question. Tout est pertinent, utile et efficace à condition d’être pensé de manière stratégique. À cet égard, l’une des priorités discutées lors de la rencontre entre le Premier ministre arménien Pashinyan et notre président à Paris il y a quelques semaines est l’infrastructure dans les domaines de l’énergie, du transport et de la connectivité. Renforcer et soutenir l’Arménie, c’est aussi renforcer les infrastructures.

– Monsieur l’Ambassadeur, des visites de haut niveau de la France en Arménie sont-elles prévues dans un avenir proche ?

– Nos deux ministres des Affaires étrangères se sont rencontrés il y a quelques semaines. Ce n’était ni en France ni en Arménie, donc je suppose qu’il y aura des visites des deux côtés dans un avenir proche. Et, comme vous le savez, le Premier ministre arménien a invité le Premier ministre français à se rendre en Arménie. Les visites sont importantes car elles permettent de réaliser des progrès significatifs et de faire le point sur ce que nous avons fait ensemble.

Mais il y a bien d’autres visites que les visites officielles sur lesquelles je voudrais que nous nous arrêtions. Ce week-end, deux très grands chirurgiens français étaient en Arménie pour travailler avec les Arméniens. Ils ont enseigné des gestes vitaux qui peuvent aider à sauver une personne souffrant d’hémorragie. Trente pour cent des victimes arméniennes des derniers conflits ont été victimes d’hémorragies. Des chirurgiens célèbres viennent de France pour aider l’Arménie. Et nous avons de tels cas dans tous les domaines. Des visites importantes auront lieu, mais il n’y a pas de visites moins importantes.

-M. Ambassadeur, souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

– Je voudrais vous dire un grand merci. Je suis très reconnaissant à l’Arménie pour l’accueil chaleureux qu’il m’a réservé, ainsi qu’à mon équipe et aux représentants français de divers domaines. Au cours des relations séculaires entre nos deux pays et peuplesune grande confiance et une grande amitié se sont formées, ce qui rend notre travail vraiment plus efficace et plus significatif. Merci donc à tous les Arméniens qui nous accueillent ainsi.

Interview par Anna Grigorian

Photo par Hayk Badalyan

Éditorial