Comment réécrire les manuels d’histoire des jeunes arméniens ?

Appuyée par quelques historiens et intellectuels ainsi que par une partie de  la hiérarchie de l’Église, l’opposition à Erevan s’est également emparé d’une querelle aussi inutile qu’inopportune concernant l’enseignement de l’histoire de « l’Arménie » ou « du Peuple arménien »  pour s’opposer sur un front supplémentaire aux autorités du pays. 

Le journaliste Vahram Atanesyan présente le cas de l’un des chapitres des plus connus de notre histoire tel qu’il était traité dans les manuels scolaires depuis la période soviétique jusqu’à nous jours. Très subtilement, il analyse ensuite l’enseignement de cet épisode à l’aune des enjeux idéologiques passés et actuels. 

La question mérite beaucoup mieux qu’un débat pseudo-académique stérile ou une confrontation aux fondements idéologiques et partisans sans utilité. Il serait donc souhaitable que les historiens et pédagogues s’attellent maintenant à cette question avec professionnalisme et sans passion. Ce débat qui concerne toute la nation, doit également être ouvert aux historiens de la Diaspora dont un certain nombre font autorité au plan international, que ce soit dans les questions purement arméniennes ou historiographiques d’une nature plus générale.

L’« épée à double tranchant » de l’histoire

Un débat a récemment éclaté sur les manuels d’histoire. On entend dire à cette occasion: « le gouvernement sorossien essaie de nous couper de nos racines ». Mais de quelles racines parle-t-on ?  Prenons un cas assez parlant : le séjour qu’Israël Ori effectua en Perse en  1708-1709. 

Du point de vue historiographique dominant, il se rendit en Perse d’une part en tant que délégué du Pape et d’autre part en tant que chef de la délégation diplomatique de l’empereur russe Pierre le Grand. Après avoir rencontré le Chah de Perse, il rentra au Caucase, puis se rendit en Russie accompagné du Catholicos Yessaï Hassan-Jalalyan d’Albanie. Mais «il mourut subitement dans des circonstances troubles » en 1711 à Astrakhan.

Imaginons que présentant cet épisode, un enseignant évoque avec un grand enthousiasme le plan d’Ori pour la libération de l’Arménie. Qu’il raconte qu’il s’est rendu dans les pays européens et qu’il n’y a pas reçu d’aide. Qu’il est ensuite allé en Russie où il a été reçu avec chaleur, qu’il y a reçu le grade de colonel, qu’il a ensuite été envoyé à Perse avec un détachement armé, mais que sa mort a rendu caduque ce plan, etc… Si un élève un peu futé demande pourquoi Israël Ori et d’autres souhaitaient que l’Arménie passe de la domination Persane à celle de la Russie. Qu’il demande quelle est la différence entre les deux ? Que répondra alors le professeur ? Répondra-t-il que la Russie était un « pays chrétien » et que la Perse était un « pays musulman » ? Grand bien nous fasse, et alors ? 

Aujourd’hui, la République islamique d’Iran compte un peu moins de cent mille Arméniens, mais ils y disposent de deux mandats de députés au Parlement alors que deux million et demi d’Arméniens vivant en Russie ne jouissent pas d’un tel privilège, tout comme un demi-million d’Arméniens en France ou plus d’un million aux États-Unis (« NH » – Allusion faite aux députés représentant leurs communautés respectives).

Parle-t-on d’Israël Ori aux élèves qui étudient l’histoire de ce pays dans les écoles iraniennes ? Sans doute pas. Mais je pense qu’on y enseigne forcément l’histoire des  rivalités militaro-économiques Russo-persane, turco-persane et russo-turque du début du 18e siècle.   

Et nous dans tout ça ? En parlons-nous ? Probablement pas. Nous ne pouvons pas dire que si Pierre le Grand avait vraiment eu l’intention de libérer les Arméniens du joug de la Perse et de créer un État arménien, alors la « mort subite dans de sombres circonstances » d’Israël Ori n’aurait pas dû stopper, n’aurait pas pu empêcher, sa réalisation.

Nous ne voulons pas reconnaitre qu’une décennie après la « mort subite dans de sombres circonstances » d’Israël Ori, Pierre le Grand a lancé une opération d’invasion de la Perse et occupé les zones côtières occidentales de la mer Caspienne. 

Nous n’osons pas faire de parallèle avec le fait qu’au même moment la Perse était également attaquée par l’Empire ottoman et que les Turcs ont occupé les régions du nord de ce pays. En conséquence, en 1724, la Russie et la Turquie signaient le traité de Constantinople pour se partager les territoires conquis sur la Perse.

Par la suite, les Turcs ont occupé Erevan, réprimé la rébellion de Syunik et d’Artsakh, soumis le peuple et certains de ses dirigeants ont été tués. A la mort de Yessaï Hassan-Jalalyan, tous les autres acteurs de cette aventure ont fui et se sont réfugiés en Russie. 

En juin prochain on commémorera  le 300e anniversaire du premier traité russo-turc. Dans le même temps, il n’y a plus d’Arméniens en Artsakh et la civilisation chrétienne est en train de disparaître en Transcaucasie orientale.

Traduction et introduction : Sahak Sukiasyan

Éditorial