De la paille et de la poutre …

Cimetière de Bakou, détruit

 

Il est un ensemble de domaines dans lesquels l’Azerbaïdjan d’Aliev excelle dans tous les classements internationaux. On pense naturellement aux Droits de l’homme, aux Droits des minorités, aux Libertés en termes d’expression publique et de la presse, de la vie démocratique, autant de domaines pour lesquels l’Azerbaïdjan mériterait de figurer dans le « Livre Guinness des records ». Mais parmi tous ces domaines ou spécialités, il en est une pour laquelle ce pays mérite la première place dans cet ouvrage : la destruction des cimetières.

J’avais entrepris de traduire la nouvelle de la destruction des tombes du cimetière arménien de la localité d’Ivanyan en Artsakh (Khodjaly), lorsque j’ai pris connaissance du message adressé par Ilham Aliev aux participants à la conférence « internationale » qui s’est ouverte à Bakou sur le thème « Protéger la diversité, la lutte contre l’islamophobie en 2024 ». Ce texte qui est un monument de mensonges et de tartufferie a été délivré à l’assemblée par Hikmet Hadjiev, le «chef du département des relations extérieures de l’administration présidentielle de la République d’Azerbaïdjan », et accessoirement « second couteau » du Khan de Bakou.

Le khatchkar d'Ivanyan

Les insomniaques et désœuvrés de toute sorte peuvent en prendre connaissance sur le site de l’agence officielle d’information « Azertac ».

https://azertag.az/fr/xeber/aux_participants_a_la_conference_internationale_sur_le_theme__proteger_la_diversite__la_lutte_contre_lislamophobie_en_2024_-2944077

A tous, je propose néanmoins de lire cet extrait de la pensée du président azerbaïdjanais : « Au 21e  siècle, il ne devrait y avoir de place pour l’islamophobie, la xénophobie et le racisme….Associer le terrorisme et l’extrémisme à une religion, une nation, une civilisation ou un groupe ethnique est une approche erronée … La France mène une politique ouverte de répression et de discrimination contre les Musulmans et organise diverses campagnes islamophobes, parallèlement à sa politique traditionnelle de néocolonialisme. Sous couvert de « laïcité », elle adopte des actes législatifs et des décisions politiques visant à restreindre les droits et libertés des Musulmans. Dans ce pays, les mosquées, les centres culturels et cimetières musulmans sont soumis à la profanation sous diverses formes et les citoyens musulmans sont opprimés ».

Nous connaissons tous les causes de l’hystérie anti-française d’Aliev, de son mépris et de sa détestation pour son chef de l’État. Inutile donc d’entamer une exégèse aussi vaine qu’ inutile, mais je voudrais au moins rendre à Bakou et à son César ce qui lui revient. 

J’ignore combien de tombes musulmanes ont été profanées en France, mais je crois que leur nombre n’a rien de commun avec celui des tombes  arméniennes détruites en Azerbaïdjan. Sans parler des cimetières oudis, russes (orthodoxes et Molokan)et d’autres « minorités » de ce pays décrit par ses dirigeants comme une « terre de tolérance et de coexistence des cultures et des religions ».  Un simple rappel factuel et quantifiable à partir de deux exemples.

–       Le cimetière de Djugha

Cette immense et ancienne nécropole arménienne était  située à l’ouest de la ville de Djugha (ou Djoulfa), en « République autonome du Nakhitchevan », à la frontière avec l’Iran. Elle comptait près de 10 000 khatchkars [Pierres-croix] au début du 20ème siècle, et plus de 3 000 encore peu avant sa destruction. Beaucoup de ces magnifiques  khatchkars dataient de la fin du xvie au début du xviie siècle. Ils étaient uniques et appartenaient à une école locale. Cette nécropole historique a été entièrement détruite en plusieurs étapes par l’Azerbaïdjan entre 1998 et 2005. Malgré les innombrables preuves (vidéos, photographies, témoignages oraux et écrits), la responsabilité de cet acte de barbarie comparable à la destruction des Bouddhas de Bâmiyân (Afghanistan) en 2001 est  toujours officiellement  réfutée par les autorités azerbaïdjanaises qui nient jusqu’à son existence historique. 

–       Le grand cimetière chrétien “Nariman” de Bakou

Septembre 2007, l’alerte était donnée par Leila Amirova, une journaliste azerbaïdjanaise indépendante. 

Sur le site de l’ONG « Institute for war and peace reporting », sous le titre «Scènes déchirantes au cimetière de Bakou en voie de destruction», la journaliste lanceuse d’alerte invitait l’attention de la communauté internationale sur la destruction du grand cimetière chrétien de Bakou. Au prétexte d’opérations d’urbanisme, la ville de Bakou avait entrepris de « fermer » cette vaste nécropole en accordant quelques jours aux famille pour exhumer les corps des défunts et les transférer dans deux autres cimetières de la capitale( Agonising Scenes at Razed Baku Cemetery). 

L. Amirova écrivait alors : « Le cimetière de « Montin » [aussi appelé Nariman], au nord de Bakou, présente aujourd’hui un spectacle épouvantable. Il disparait à vive allure. Les tombes sont bouleversées, les pierres tombales détruites et les enclos métalliques ont été enlevés et vendus aux ferrailleurs. Une odeur pestilentielle exhale des sacs en plastique noirs dispersés contenant des restes exhumés. Quatre jours seulement après que les autorités aient annoncé que les tombes seraient transférées dans les cimetières des quartiers de Govsany et de Karadag de la ville, des pelleteuses sont arrivées sur place et ont commencé à retirer les grilles et à broyer les pierres tombales ». 

Le cimetière qui datait de la fin du 19e siècle était autrefois appelé « arménien », car de nombreux Arméniens y étaient enterrés. Mais on y trouvait également un grand nombre de sépultures  appartenant à des Russes, à des Géorgiens, à des Ukrainiens, ainsi qu’à des Cosaques et à des membres de la communauté religieuse des Molokans. Les Azerbaïdjanais n’avaient commencé à y enterrer leurs morts qu’après la fuite massive des Arméniens et des Russes dans les années 1990 ». 

Le cimetière de Bakou

–       Le sort des cimetières d’Artsakh

Entre 1920, année du Grand massacre des Arméniens de Chouchi, et 2020, début de la guerre d’invasion, puis à partir de l’occupation totale du territoire de la République d’Artsakh, des centaines, voire des milliers de tombes arméniennes, ont été détruites au mépris des lois les plus anciennes de l’humanité liées au respect des corps des défunts. 

Ici aussi, d’innombrables photographies et vidéos, le plus souvent mises sur les réseaux sociaux par la soldatesque azérie, en témoignent.  

L’histoire, malheureusement ne cesse de se répéter. Plus récemment, à Ivanyan (Artsakh), les mêmes Azéris  viennent de  détruire un khatchkar  contemporain très symbolique. Celui-ci avait été  élevé par Ishkhan Sarkissian, l’arrière-petit-fils de Bakhshi Sarkissian, un ancien maire de la localité. 

Un article publié dans le numéro du 24 octobre 1990 du journal Սովետական Ղարաբաղ (Karabakh soviétique) rappelle qu’en 1920, à l’occasion des conflits arméno-azerbaïdjanais (Tatars), le village qui s’appelait alors Khojaly avait été à nouveau repeuplé par des Arméniens survivants du grand massacre de Chouchi et de Berdadzor (Gharaghshlagh). Ceux-ci s‘étaient alors installés dans la partie ouest de la localité, et les Azerbaïdjanais qui avaient fui les régions d’Arménie de Yeghegnadzor et de Sissian, dans sa partie est. Ces deux communautés vivaient séparées, mais dans une même localité appelée « Khojaly ». Elles dépendaient du « soviet villageois » [municipalité], dont les « Présidents » [maires] étaient Hovsep Avagyan et Bakhshi Sarkissian. 
Dans la partie sud-ouest de Khojaly, il y avait un modeste cimetière arménien - entre 25 et 30 tombes – abritant les dépouilles d'Arméniens venus de Berdadzor. Selon des témoins oculaires, durant les années 1990, lorsque les Arméniens ont dû quitter leurs foyers sous la pression des Azéris, ces derniers ont détruit ce cimetière et déversé les pierres tombales dans un vallon voisin situé à l’opposé du village. C’est pour perpétuer le souvenir de ce cimetière et  des défunts qui y étaient ensevelis, qu’Ishkhan Sarkissian avait érigé ce khatchkar sur son emplacement, tel un « cénotaphe communautaire » dédié aux défunts dont le repos éternel avait été définitivement interrompu par les vandales.

Ces jours-ci, les Musulmans sont entrés dans le Ramadan.  Je présume que comme le « Grand Carême » pour nous, cette période est un temps d’examen de conscience et de repentir. Un exercice utile et salutaire pour chaque croyant, indépendamment de son appartenance religieuse.

J’ignore si le Coran renferme un apophtegme comparable, mais les Évangiles nous en proposent un que je soumets volontiers à Messieurs Aliev et Allahchukur Pachazadé. Il est tiré de l’Évangile de selon Saint Mathieu ( chapitre 7, versets 3 à 5) : « Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? Ou comment peux-tu dire à ton frère : Laisse-moi ôter une paille de ton œil, toi qui as une poutre dans le tien ? Hypocrite, ôte d’abord la poutre de ton œil, et alors tu verras comment ôter la paille de l’œil de ton frère ».

Bon Grand-Carême et bon Ramadan à tous !

Sahak Sukiasyan

Éditorial