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La langue, un héritage culturel en danger

En créant l’Organisation internationale de la francophonie, la France a donné une importance stratégique à la langue française. L’Organisation internationale de la Francophonie fédère tous les pays francophones avec lesquels elle partage des valeurs culturelles et politiques à travers la langue.

Les Arméniens, survivants du Génocide ont également accordé de l’importance à la langue arménienne depuis le premier jour de leur installation en France, ils ne pouvaient pas faire autrement, la langue était restée comme seul bien identitaire, unique patrimoine immatériel préservé, unique bagage ramené depuis l’Arménie occidentale. Ils n’ont cependant pas réussi à créer, en France, une communauté arménophone à l’instar des Arméniens du Moyen-Orient. Il y a sans doute plusieurs raisons à cela. Mais aucune étude sociologique n’a explicité ne serait-ce qu’une seule de ces raisons. L’Église apostolique arménienne a néanmoins réussi à préserver la langue arménienne comme langue rituelle. Elle est ainsi devenue le lieu où l’on peut parler arménien. Cependant, aujourd’hui, même dans l’Église, l’arménien recule. De manière surprenante, cela se passe après l’indépendance de l’Arménie. Les réunions se tiennent en français, les communiqués sont écrits en français ainsi que le bulletin de l’église. Et lorsqu’un communiqué en arménien est diffusé, c’est en arménien oriental avec l’orthographe soviétique. L’orthographe classique et l’arménien occidental sont en train de disparaître de l’horizon. Heureusement, les Églises Catholique et Évangélique maintiennent toujours le principe du bilinguisme dans leurs communications : l’usage de l’arménien et du français. Ainsi leurs bulletins paraissent dans les deux langues. L’arménien occidental et l’orthographe classique sont utilisés en tant que langue et orthographe traditionnels de la Diaspora.

L’usage de l’orthographe soviétique s’est répandu après l’indépendance de l’Arménie, et a été adopté par le clergé envoyé par le Saint-Siège appelé à servir en France, et en raison de l’indifférence des conseils paroissiaux locaux ou de leur manque de maîtrise de l’arménien, l’usage de l’orthographe soviétique devient irréversible au détriment de la tradition linguistique locale.

De manière générale, le Primat et le Conseil diocésain peuvent prévenir, intervenir, corriger, exiger que l’orthographe classique soit respectée. Cependant, le sujet est toujours non abordé. Dans le passé, quand le Primat était un Arménien de la diaspora, un certain équilibre était naturellement maintenu. Cependant, avec l’élection du père Khachatrian, originaire d’Arménie, en tant que Primat, l’incertitude règne. Les positions ne sont toujours pas claires. Mais pourtant une chose est claire : l’abandon du bilinguisme, l’usage de plus en plus courant de l’arménien oriental et de l’orthographe soviétique.

Keram Kevonian, membre de la paroisse de Paris et de l’Assemblée des députés diocésains, connu en tant qu’historien et co-fondateur de l’organisation Terre et Culture, aborde la nécessité de remédier à ce manquement culturel dans une lettre ouverte adressée au prêtre de la paroisse parisienne, qui prend soin de préciser que la question est de nature générale et ne vise nullement le prêtre de la paroisse en personne.

Le changement linguistique a été une prise de position politique du régime soviétique, qui l’a imposé à l’Arménie soviétique comme s’il recourait à un sortilège pour diviser la société arménienne. Cela avait pour but de couper l’Arménie de son passé, de son héritage littéraire et spirituel. Il fallait créer un abîme culturel entre le citoyen de l’Arménie soviétique et celui de la diaspora. C’est la prise de conscience de ce problème qui est importante, où l’Église  aurait pu jouer un grand rôle dans le rétablissement de l’orthographe classique, car elle est la seule institution nationale présente à la fois en Arménie et dans la diaspora, et qu’elle a été la première à être affectée par les changements orthographiques de l’ordre soviétique. Son histoire de 1 700 ans pourrait lui conférer le pouvoir moral et historique de protéger le patrimoine linguistique et littéraire de l’arménien classique et de l’arménien occidental privé de son territoire et laissé sans protection.

Suite à l’épuration ethnique  que viennent de subir les Arméniens d’Artsakh, la protection du patrimoine culturel d’Artsakh est devenu un enjeu majeur, une revendication adressée à  la communauté internationale. Il n’est pas normal que le patrimoine immatériel que représente la langue arménienne occidentale et l’orthographe classique soient abandonnés par les Arméniens eux-mêmes.

J. Tch.