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Que pourrait encore nous révéler Samvel Chahramanian ?

Le dernier président de l’Artsakh, Samvel Chahramanian, vient d’accorder une interview au journal français « Le Figaro ». Interview dans laquelle il a déclaré que le 19 septembre, « un document avait été reçu de l’Azerbaïdjan, par lequel l’Assemblée nationale devrait annoncer que le peuple de l’Artsakh renonçait à ses droits, à sa souveraineté et à ses symboles ». Il précise que ce document aurait dû être soumis au vote de l’Assemblée nationale, mais qu’il avait alors préféré rédiger une contre-proposition et assumer la responsabilité de la dissolution de l’Artsakh. Il ajoute : « C’était une garantie d’évacuation relativement sûre. Je savais pertinemment que ce document était illégal et inconstitutionnel car il devait être ratifié par les structures juridiques de la République d’Artsakh, mais c’était le seul moyen de sauver mes compatriotes ».

Si l’on revient sur la situation, « l’évacuation » de l’Artsakh a débuté le 24 septembre 2023. Selon un communiqué officiel en date du 28 septembre, Samvel Chahramanian avait signé le décret « sur la dissolution de la République du Haut-Karabakh dès le 24 septembre ». Une question se pose : si, comme il le prétend, son décret était « le seul moyen de sauver ses compatriotes », alors comment a été organisée « l’évacuation » de la population en quatre jours ? La partie azerbaïdjanaise avait-elle à l’avance des assurances que Samvel Chahramanian signerait le décret sur la dissolution de la République du Haut Karabakh,  ou bien a-t-il été signé le 20 septembre, en même temps que la déclaration du commandement trilatéral militaire réunissant les parties azerbaïdjanaise, russe et Samvel Chahramanian qui travaillait  à l’arrêt des opérations militaires ? 

Pourquoi Samvel Chahramanian parle-t-il de ce « document reçu de Bakou » qui aurait dû être discuté à l’Assemblée nationale six mois après que l’Artsakh ait été vidé de sa population arménienne ? 

La formulation très générale de ce document selon laquelle  Bakou « exigeait l’abandon des droits, de la souveraineté et des symboles de l’Artsakh » révèle trop peu de choses sur son contenu. Le renoncement à la souveraineté et à l’indépendance de l’État ne signifie pas formellement le renoncement à la subjectivité nationale, aux structures administratives-territoriales et politiques. Tant que le « document reçu de Bakou » ne sera pas publié, une question fondamentale demeurera. L’Azerbaïdjan avait-il présenté par écrite une demande « d’évacuation de la population arménienne » ? Si un tel document écrit  n’a pas été présenté, quelles garanties ont-elles, ou n’ont-elles pas, proposé pour  garantir l’existence et le développement  de cette population dans son pays d’origine ?

Samvel Chahramanian a été élu président grâce aux voix de vingt-deux députés de l’Assemblée nationale. De ce fait, il n’était pas un chef de l’État doté d’un « plein mandat ». Il aurait  donc dû discuter de toute mesure au Parlement, ou, au minimum,  avec les forces politiques qui l’ont nommé candidat à la présidentielle et l’ont doté des pouvoirs d’un chef de l’État. A partir des propos de Chahramanian, on comprend qu’il craignait que l’Assemblée nationale ne vote pas le « document envoyé par Bakou » exigeant de « renoncer aux droits, à la souveraineté et aux symboles » de la République d’Artsakh et qu’il en a donc assumé l’entière responsabilité.

Quand, par qui  et au nom de qui le « document venu de Bakou » a-t-il été réceptionné ? Samvel Chahramanian a-t-il présenté « l’édit hazguerdien» [référence à l’exigence d’apostasie envoyée par le roi des Perses Hazguerd II aux Arméniens à la veille de la bataille d’Avarayr / NDT] à l’Assemblée nationale ? En a-t-il discuté avec les forces politiques ? S’y sont-elles opposées ? Autant de questions dont l’évocation n’aurait peut-être pas été de circonstances dans la situation actuelle, si le Président de l’Artsakh n’en n’avait parlé au prestigieux périodique français en précisant que « ce n’est qu’après la cessation des hostilités que les Artsakhiotes avaient demandé d’organiser leur évacuation vers l’Arménie ».

La France est peut-être le seul pays à contester publiquement le narratif officiel de l’Azerbaïdjan selon lequel « les Arméniens du Karabakh sont partis volontairement ». Samvel Chahramanian dit que la population de l’Artsakh avait présenté une « demande d’évacuation », parce qu’elle redoutait des massacres que pourrait commettre l’ennemi. Il est évident que dans une telle situation de crise, personne ne peut garantir que cela n’arriverait pas. Bakou a probablement présenté une solution alternative à la déportation et aux massacres, mais pourquoi Samvel Chahramanian fait-il preuve d’une extrême retenue à ce sujet ?

Il a également été interrogé au sujet des anciens présidents de l’Artsakh et des autres responsables détenus sous la contrainte à Bakou. Chahramanian exige leur libération immédiate, ainsi que celle de sept autres personnes également arrêtées. 

Bakou aurait-il violé un des point de l’accord ? Continue-t-il de le faire ? 

Que pourrait donc encore révéler Samvel Chahramanian dans sa prochaine interview ?

Vahram Atanessian,

1in.am / Erevan le 30 mars 2024

Traduction : Gorune S.

Éditorial