Un Israël Ori contemporain ?

Par Vahram Atanesyan, 

1 in am / Erevan le 9 mars 2024 – La presse rapporte que la « Commission des Affaires de l’Artsakh » (1) organise des rencontres à l’étranger sous la direction de Vartan Oskanian,  l’ancien Ministre des Affaires étrangères. 

V. Oskanian aurait renoué des relations qu’il avait établies à l’époque où il était Ministre des affaires étrangères, notamment avec Toivo Klaar, le représentant spécial de l’Union européenne pour le Caucase du Sud et la crise géorgienne. En un mot, il imiterait comme Israël Ori (2) qui, comme il y a trois cents ans, frappait aux portes des monarques européens pour essayer de les convaincre que là-bas, en Orient, une nation chrétienne mourait sous le double  joug ottoman et persan et implorait son salut. Rapidement, ce dernier se convainquit, ou « fut amené » à comprendre, que pour l’Arménie, le soleil, s’il devait se lever, ne se lèverait qu’au nord (3). Il se rendit donc en Russie …

De  manière conventionnelle , Vartan Oskanian représente le « rouge » sur la palette politique arménienne, puisqu’il critique sans retenue Nikol Pachinian « pour avoir ruiné les relations avec son allié stratégique la Russie, sapé le système de sécurité arménien ,  poussé à la guerre et conduit le pays à la défaite, et adopté une orientation pro-occidentale » , et partant de là,  pour avoir « perdu définitivement l’Artsakh en reconnaissant  le Haut Karabakh comme partie intégrante de l’Azerbaïdjan ».

Si ce postulat est exact, alors l’un des architectes du statu-quo actuel est naturellement l’Union européenne représentée par ce même Toivo Klaar. 

Si la presse présente correctement le problème d’Oskanyan, c’est-à-dire la reconnaissance du droit au retour collectif des citoyens d’Artsakh déplacés de force, alors que recherche Vartan Oskanyan à l’occasion de  cette rencontre si l’Union européenne cherche à « neutraliser » la Russie dans le Sud-Caucase.

Si Oskanian a un réseau de relations en Europe ou aux Etats-Unis depuis l’époque où il était en poste, il doit également avoir des relations en Russie. Après tout, il a été le Ministre des Affaires étrangères d’une Arménie alliée stratégique de la Russie, fidèle à Moscou, et en tant que diplomate expérimenté et influent, il sait parfaitement que l’Azerbaïdjan doit d’abord reconnaître les droits collectifs au retour de la population arménienne du Haut-Karabakh. Or,  actuellement, les relations de l’Azerbaïdjan avec les Européens sont au plus bas,  alors que celles avec la Russie, vont en s’accroissant.

Premièrement, même animé du plus grand désir de réalise ce retour,  qui reconnaîtra ce droit, et comment ? 

Deuxièmement, comment réagira la Russie qui a déclaré par la bouche de Mikaïl Galuzin, Vice-ministre des Affaires étrangères que « la présence du contingent militaire russe sur place est une garantie du retour de la population arménienne au Haut-Karabakh » ?  On comprend alors mieux pourquoi M. Galuzin tient ces propos. Si plusieurs milliers d’Arméniens rentraient au Haut-Karabakh, alors Moscou pourrait justifier du maintien du contingent russe sur place.

Il est évident qu’à l’époque d’Ori, personne ne s’est demandé si le commun du peuple  du Karabakh était partisan de la rébellion contre la Perse. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? 

L’un des anciens responsables de l’Artsakh qui se trouve dans la « commission d’Oskanian » (4) compte-t-il rentrer à Stepanakert muni de « certains droits » ? Si oui, pourquoi n’en discute-t-il pas plutôt avec le représentant d’Ilham Aliev au Karabakh, le député Elchin Amirbekov. 

Et pourquoi  lui préfère- t-il Toivo Klaar ? Que ferait de plus Monsieur  Klaar ? 

Je lui conseille donc d’aller à Moscou et à Bakou pour tenter « d’élaircir les choses » ?

Traduction : Sahak Sukiasyan

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(1) Fondé le 18 janvier 2024 à Erevan, cette commission est coordonné par V. Oskanian.

(2) Né en 1658 dans le Syunik, province du sud de l’Arménie, Israël Ori était issu d’une famille de Méliks (princes). Il dirigea une délégation arménienne en Europe et rencontra dans ce cadre plusieurs dirigeants de l’époque, le Pape Innocent XII, l’Empereur Léopold d’Autriche et des proches du roi Louis XIV afin de demander leur soutien à l’indépendance de l’Arménie. Déçu par les dirigeants européens, il finit par rechercher la protection du Tzar Pierre Ier  le Grand qui lui promit une intervention militaire dans la Caucase. Celle-ci eut bien lieu, mais les Arméniens n’en tirèrent aucun bénéfice.  Au 20e s., il a été rendu célèbre par l’historiographie et la  propagande soviétiques qui l’ont présenté comme le porteur d’un plan de rétablissement de l’indépendance arménienne qui a surtout servi à justifier l’expansionnisme de l’empire russe sans aucun gain pour les Arméniens. Dans le contexte actuel, son image est abondamment utilisée par l’opposition arménienne pro-russe en réaction aux orientations réputées « pro-occidentales » des autorités en place.

(3) Allusion à une citation extraite d’un discours d’Edvard Chevarnadzé, alors Premier Secrétaire du PC de Géorgie qui avait déclaré que « pour le peuple géorgien, le soleil ne se levait pas à l’Est, mais au nord ».

(4) V. Atanesyan fait référence à Kéram Stépanian, le dernier Défenseur des droits de la République d’Artsakh. A sa création, la commission se composait, outre V. Voskanian et K. Stépanian, de Garen Bekarian, Président du conseil d’administration du Centre d’analyse « Hayatsk » (Arménie),  Mario Nalbandian, membre du Conseil central du CDCA d’Argentine, Kaspar Garabédian, président du CDCA pour l’Europe (Belgique) et Karnig Krkonian, avocat international (États-Unis). Un communiqué publié le  2 février dernier dans le journal « Aravot » indiquait « La composition de la Commission sera élargie pour inclure des personnalités de Russie et du Moyen-Orient. ».

Éditorial