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Entretien avec Philippe Poux, Président de G2iA 

Philippe Poux est le président de G2iA (Groupement International Interprofessionnel Arménien), depuis 2018. 

Le G2iA est un acteur économique dynamique dans le domaine des technologies de l’information. 

Depuis 1981, année de sa création, le G2iA constitue un cadre d’accueil pour les professionnels d’origine arménienne et les Français arménophiles acteurs de la vie économiques (chefs d’entreprise, cadres, industriels, commerçants, artisans, retraités « actifs », …) afin de réaliser du projet commun franco-arménien.

Le G2iA participe et soutient l’ensemble des initiatives qui favorise la vie économique sans aucune considération politique comme : le Sommet économique France-Arménie, tenu en février dernier, “Venez rencontrer les acteurs de la Finance”, Vivatechnologie, le sommet Mondial arménien, le Diner-gala en faveur du projet UFAR 20+…

 

« Nor Haratch » – Dans la communauté arménienne, ils se trouve des associations atypiques dont le nom apparaît à des occasions particulières : c’est le cas du G2iA, plus couramment connu sous le nom de Groupement International Interprofessionnel Arménien. Pourriez-vous nous exposer rapidement le but et les actions de l’association que vous présidez ?

Philippe Poux – J’aime bien la qualification d’atypique que vous venez d’employer. Notre association est en effet différente des autres par sa vocation qui n’est pas culturelle ou humanitaire, mais économique. G2iA est une association créée il y a 42 ans essentiellement par des hommes d’affaires et des architectes. Les premiers bureaux de l’association étaient constitués d’architectes et au départ l’association s’appelait GIA (Groupement Interprofessionnel Arménien).

Depuis sa création, l’association a mené beaucoup d’actions de formation, a créé des liens entre la France et l’Arménie orientés vers l’entreprise, l’entrepreneuriat, la gestion et l’administration, et en même temps a élaboré des orientations autour du développement économique.

G2iA est à l’origine du groupe CARI, qui aidait les entreprises à se servir de l’Arménie comme base de départ pour faire du business dans le Caucase ou dans les pays de l’Eurasie.

Aujourd’hui, nous poursuivons ces actions parce que nous avons la conviction que renforcer le développement économique de l’Arménie est un axe important pour assurer la pérennité du pays, ainsi qu’accroître et stabiliser sa force économique.

« NH » – Dans les relations entre la Diaspora et l’Arménie, le domaine professionnel est souvent ignoré ou négligé. Pourtant, G2iA opère en Arménie d’une façon assez structurée parce que votre association dispose d’un bureau en France comme en Arménie. Quels sont les domaines d’interventions du G2iA en Arménie et quels sont les projets réalisés ou qui sont en cours d’élaboration ?

P. P. – Il y a quelques années, j’ai acquis la forte conviction qu’il faut exporter l’Arménie. Si on regarde le paysage économique arménien, on s’aperçoit que quelques entreprises françaises se sont installées en Arménie, mais qu’en revanche les sociétés arméniennes sont très peu nombreuses en France.

J’aimerais, par exemple, trouver des produits arméniens en dehors des épiceries arméniennes, trouver du bon vin arménien chez Nicolas ou des fruits secs d’Arménie à la Grande Épicerie. Nous travaillons dans cette direction et accompagnons notamment la société arménienne ArLeAM, qui tenait cette année pour la première fois un stand au Salon de l’Agriculture de Paris, afin qu’elle puisse collaborer avec La Grande Épicerie, Lafayette Gourmet, Monoprix, etc. 

Nous allons cibler le haut de gamme pour deux raisons : d’abord parce que l’Arménie exporte des produits de grande qualité et puis, parce que l’Arménie ne produira jamais des quantités colossales. Alors, notre atout c’est que nous avons des produits de très bonne qualité, voire bio, et d’une quantité non négligeable pour atteindre un marché haut de gamme. Donc, nous n’allons pas nous battre ni sur le prix ni sur le marché, et n’allons pas viser Leclerc ou Carrefour.

Un success story de ce genre est le partenariat établi entre le G2iA et le Armenia Vine & Wine Foundation qui nous a permis de référencer, il y a six ans, cinq vins arméniens à la Cité du Vin de Bordeaux. Si nous avons pu réussir cette négociation, présenter et vendre le vin arménien dans ce lieu prestigieux, nous pouvons réussir aussi à commercialiser le vin arménien chez les cavistes.

Personnellement, je suis impliqué dans le tissu des Start-Up, un milieu composé de jeunes dynamiques, motivés, ambitieux et de très haute qualité professionnelle, mais qui disposent d’un faible carnet d’adresses, de savoir-faire dans la gestion d’une entreprise, et qui manquent de financement. Nous, en Diaspora, nous avons des gens qui ont de l’argent, du savoir-faire et des contacts. Pour accélérer le développement de ces entreprises arméniennes et leur permettre d’avoir du chiffre d’affaires rapidement, nous essayons de créer ce pont entre les hommes d’affaires de France et les jeunes entrepreneurs d’Arménie. 

« NH » – Quelle est la différence entre le G2iA et la Chambre de Commerce et d’Industrie France Arménie ?

P. P. – Ce que nous différencie de la CCI France Arménie c’est que nous ne dépendons pas du gouvernement français. Nous avons signé, il y a quelques semaines, un partenariat avec la CCI France Arménie pour mener ensemble des actions. La CCI a une logique de représentation et de facilitation, elle est en lien direct avec l’Ambassade de France et les bureaux économiques comme avec les ministères. En revanche, le G2iA dispose d’un tissu important de connaissances et de contacts, que nous allons mettre à disposition de la CCI pour accompagner les entreprises arméniennes.

Le 24 février de cette année s’est tenu le premier Sommet Économique France-Arménie organisé par la CCI France Arménie en partenariat avec la CCI Paris IDF. Nous avons invité beaucoup de monde et sommes très contents du succès rencontré. Suite à cette rencontre, nous accompagnons déjà quelques entreprises françaises dans leur réflexion pour s’installer en Arménie et recruter des ingénieurs. 

« NH » – Quels sont les retours positifs de ce Sommet Économique ?
Comment évaluez-vous l’impact de cette rencontre dans les années à ve-
nir ?

P. P. – Le premier point positif c’est que nous espérions accueillir deux-cents personnes et finalement nous étions trois-cents, représentant cent-soixante-quatre entreprises. Ils étaient tous venus pour écouter ce qu’il était possible de faire en Arménie.

La phase suivante est de suivre ces entreprises, en partenariat avec la CCI France Arménie, dans leur réflexion de concrétiser leur projet de s’installer en Arménie, de créer des emplois et de générer des chiffres d’affaires.

Mettons-nous dans la peau d’un chef d’entreprise français qui veut s’installer en Arménie. La première difficulté qu’il va rencontrer est linguistique, parce que tous les documents qu’il va remplir sont en arménien. Ensuite, les démarches administratives à suivre pour ouvrir une filiale en Arménie ne sont difficiles.

« NH » – En dépit de ces complications et du risque géopolitique actuel, quels sont les éléments qui attirent les sociétés françaises ?

P. P. – Personnellement, je ne pense pas que la crise politique et l’instabilité de l’Arménie soient un facteur à craindre. Un entrepreneur, c’est quelqu’un qui aime prendre des risques. Je connais beaucoup de sociétés qui avaient des filiales en Russie et qui ont été obligées de mettre la clé sous la porte et de licencier leurs employés.

Le point principal qui attire les sociétés françaises en Arménie est la qualité de l’enseignement et le niveau d’expertise. Les jeunes d’Arménie ont un niveau extraordinaire en mathématiques et en informatique. L’Arménie a été pendant longtemps la Silicon Valley de l’informatique de l’Union Soviétique où il y avait des développeurs informatiques de très bon niveau.

Rappelons que l’un des meilleurs avions de chasse du monde, le MiG, a été conçu par un Arménien.

Lors de mon premier voyage en Arménie, j’ai découvert la filiale de Synopsis, la plus grande société au monde qui fait le design de processeurs et qui faisait travailler environ six-cents ou sept-cents ingénieurs dans le pays. Ce constat veut dire que si nous cherchons des techniciens remarquables ou des cadres, nous en trouvons en Arménie.

« NH » – La présence de l’Université française en Arménie (l’UFAR) est un atout pour rapprocher les jeunes à la culture, à la langue et à l’éducation française. Est-ce que ce point est un atout pour attirer davantage les sociétés françaises en Arménie ?

P. P. – Bien sûr que oui. Quand un couple de Français va s’installer en Arménie, le fait qu’il y ait une école française, un lycée français et une université française joue nettement dans la décision des expatriés de se lancer dans leur projet. Ensuite, c’est un point positif pour ces expatriés d’être entourés par des francophones et d’avoir des amis qui parlent la même langue.

« NH » – Avez-vous des relations avec les ministères arméniens, le gouvernement d’Arménie ou d’autres institutions étatiques ? Est-ce que sur place on vous facilite le travail ?

P. P. – Globalement oui. Le G2iA est assez connu en Arménie et nous sommes souvent invités à des événements organisés par les gouvernement arménien, comme le Sommet arménien mondial Diaspora-Arménie organisé en octobre dernier.

En ce qui concerne notre démarche d’accompagner les entreprises françaises à s’installer en Arménie, nous ne menons pas ce travail avec le gouvernement arménien mais avec des relations commerciales.

Un autre facteur qui va faciliter notre travail est que le ministre
de l’Économie de l’Arménie a créé une entité qui s’appelle le CNIE (Centre National de l’Industrie et de l’Entrepreneuriat) qui simplifie les démarches.

« NH » – Malgré ces atouts, il y a quand-même la question de douanes, de taxes, de certifications, de visas, de réformes que l’Arménie doit mettre en place pour se débarrasser de l’héritage soviétique et attirer d’avantage les investisseurs. 

P. P. – Il y a un progrès considérable qui a été fait dans ces domaines par rapport au passé.

Concernant le secteur numérique, il n’y a pas de problèmes particuliers liés à la certification et aux douanes. En revanche, c’est plus compliqué si on veut exporter du fromage, du vin ou des abricots. 

Les agriculteurs et les producteurs sont conscients de ces difficultés et exportent aujourd’hui plus facilement vers la Russie qu’en Europe, justement à cause de ces complications administratives. 

Pour les questions de visa, je sais que les Français voyagent en Arménie sans aucun problème mais pour un Arménien qui souhaite se rendre en France pour participer à un congrès ou d’autres événements, c’est assez compliqué. Pendant son déplacement en Arménie, Valérie Pécresse, la Présidente de la Région IDF, avait annoncé qu’elle travaillerait sur ce dossier, mais rien n’a encore changé concrètement. 

« NH » – Pourriez-vous nous parler un peu de votre collaboration avec les autres associations arméniennes de France ?

P. P. – Nous sommes en lien avec beaucoup d’associations arméniennes. Nous avons été le fer de lance du projet « RELQ ». Il s’agit d’une école numérique de Coding créée par Cyril Harpoutlian. C’est une logique d’entraide que nous allons développer dans les années à venir.

« NH » – Au niveau de la représentativité de l’entrepreneuriat arménien en France, comment une entreprise peut-elle vous contacter ? Quelles sont les bases de votre fonctionnement, de vos réunions de travail ? Quelles sont les modalités d’adhésion au G2iA ?

P. P. – Pour devenir membre de notre association, il suffit de se rendre sur notre site Internet, de suivre les démarches et payer une cotisation.

En ce qui concerne les réunions de travail, nous avons plusieurs groupes qui gèrent différents sujets et qui se réunissent régulièrement (groupe d’export, groupe d’enseignement, groupe IT, etc). Malheureusement, nous avons vécu une période assez terrible à cause des restrictions imposées par la crise sanitaire du Covid, qui nous a empêché d’organiser nos dîners habituels. Une fois par mois, nous avions le rituel d’inviter une personnalité et de discuter de différents sujets, allant de la culture à l’économie, de l’art à la philosophie. Nous allons pouvoir enfin réorganiser ces dîners thématiques et reprendre le rythme habituel de nos rencontres associatives et communautaires.

« NH » – Êtes-vous également sollicités par des entreprises, des entrepreneurs ou des stagiaires d’Arménie ?

P. P. – Pendant le Covid, nous avons organisé des stages à distance pour des jeunes qui avaient besoin d’accompagnement. Des entreprises françaises ont organisé à distance ces stages pour des entreprises arméniennes.

Il y a un an, nous avons mené une convention sous l’initiative de Sasun Saugy qui est le pilier du G2iA et allons organiser une présentation du marché de l’emploi pour les jeunes lycéens avec des gens qui viennent d’horizons différents pour qu’ils partagent leurs expériences professionnelles, leurs parcours et donnent des conseils aux jeunes à la recherche d’un stage ou d’un premier emploi. 

« NH » – Il existe des lycées professionnels en Arménie sur le modèle des lycées professionnels français. Est-ce qu’il y a un échange sur ce plan, par exemple, permettant qu’un stagiaire français puisse aller faire un stage en Arménie ?

P. P. – Nous avons une chance d’avoir parmi nos membres Jacques Bahry, l’un des précédents présidents du G2iA qui a travaillé toute sa vie dans l’enseignement et qui, aujourd’hui, travaille sur le montage d’un lycée agricole en partenariat avec le Fonds Arménien.

Nous sommes ouverts à toutes les initiatives économiques et intéressés par les gens qui ont des idées et des projets à nous soumettre, afin de les intégrer dans nos groupes de travail.

Entretien réalisé

par Jiraïr TCHOLAKIAN